L'expérience révolutionnaire de la Maison verte
Ce lieu d’accueil des jeunes enfants imaginé par Françoise Dolto a vu passer des milliers de familles depuis sa création dans les années 1970.
Une psychanalyste dans la cité. L’aventure de la Maison verte, de Françoise Dolto, Marie-Hélène Malandrin et Claude Schauder.
Éditions Gallimard, 408 pages, 24 euros.
Une Maison verte, on aimerait que chaque quartier en ait une. On aimerait aussi que ce livre arrive dans les mains de ceux qui, aujourd’hui aux plus hauts niveaux de l’État, voudraient traquer les futurs délinquants à l’école maternelle.
La violence, « c’est quand on ne dit pas ou qu’on ne dit plus », écrivait Françoise Dolto en 1984.
Elle ajoutait : « Alors on se jette sur l’autre corps à corps. » La Maison verte, telle qu’elle l’a imaginée et lui a donné vie à la fin des années 1970, dans une ancienne boutique du XVe arrondissement de Paris, est un lieu de paroles, un lieu de prévention de la violence et de « beaucoup de souffrances inutiles ». « Ni une crèche, ni un lieu de soin, ni un lieu de garde », c’est un endroit où les enfants, de la naissance à trois ans, sont accueillis sans aucune inscription préalable (seul leur prénom figure sur un registre et la participation financière est libre), mais ils doivent être accompagnés par leur père, leur mère ou la personne qui les garde (tante, grand-mère, nourrice). C’est un endroit où, dans la sécurité de cette proximité familière, ils peuvent apprendre à nouer une relation sociale avec d’autres enfants, d’autres parents, les adultes qui accueillent. C’est un endroit où on parle à l’enfant, même nouveau-né, où on s’adresse à lui « en première personne ». Car, de sa grande expérience de psychanalyste d’enfants, Françoise Dolto a tiré la conviction que bien des problèmes rencontrés plus tard pourraient être évités si des événements, des traumatismes vécus directement ou à travers la famille pouvaient, « être parlés à temps ».
La Maison verte, c’est un endroit où les parents peuvent se rencontrer, coopérer, rompre l’isolement parfois. Ceux qui accueillent sont toujours trois, au moins un homme et une femme, et parmi eux un ou une psychanalyste qui ne fait pas là métier de psychanalyste mais qui, jouant le rôle « d’éponge d’angoisse », permet « le silence ou la parole détendus ».
La Maison verte existe toujours, elle accueille chaque année des milliers d’enfants et de parents, elle a inspiré d’autres initiatives en France et à l’étranger.
Une psychanalyste dans la cité rassemble une trentaine de textes de Françoise Dolto et des documents d’archives (lettres, articles, textes collectifs) qui restituent les quinze premières années de cette expérience révolutionnaire. Ils sont introduits par un dialogue entre Marie-Hélène Malandrin et Claude Schauder.
L’une faisait partie du groupe des cinq psychanalystes et éducateurs qui ont construit ce lieu avec Françoise Dolto, l’autre, psychanalyste, est président de l’association Lire Dolto aujourd’hui. Leur échange permet de suivre les débats, ruptures, contradictions, questionnements qui ont accompagné cette aventure. Des tâtonnements pour établir le rôle de chacun, psychanalyste ou éducateur, à l’installation des règles que les enfants doivent apprendre à respecter. Le refus absolu d’une institutionnalisation, d’une labélisation amène Françoise Dolto à encourager la création de lieux d’accueil intégrant cette expérience, mais en inventant leur propre cheminement. La condition première étant, selon elle, l’existence d’une équipe motivée. Ce livre pourtant doit interpeller les pouvoirs publics qui, s’ils ne peuvent décréter la motivation, peuvent l’impulser et la soutenir.
Jacqueline Sellem
Date de parution : 27 avril 2009