"Il n'est pas normal d'avoir mal au dos"
Masseur-kinésithérapeute, José Curraladas a lancé une Ecole du dos pour les professionnels de la petite enfance. Gestes, postures... Il nous livre les clés pour préserver la colonne vertébrale et prévenir le mal de dos !
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En tant que kiné, comment agissez-vous sur le mal de dos ?
Les masseurs-kinésithérapeutes sont les "spécialistes" du dos. Notre métier est de soigner, de réhabiliter le corps humain et de prévenir les récidives. Le mal de dos est un fléau ! Une très grosse partie de notre activité quotidienne consiste à soulager les rachialgies et à apprendre aux patients à protéger leur colonne vertébrale.
Pourquoi choisir de se spécialiser dans le domaine de la petite enfance ?
Un jour, une de mes patientes, directrice de crèche qui était en traitement pour son dos, m’a demandé de venir former son personnel à la manutention des enfants car elle avait remarqué un grand nombre de plaintes sur ce sujet. J’ai donc mis au point un cours d’"Ecole du dos". Mais en effectuant des recherches bibliographiques sur le sujet du mal de dos dans le secteur petite enfance, je me suis aperçu, à ma grande surprise, qu’il n’existait aucun écrit sur le sujet. J’ai donc créé un cours en me basant sur l’activité quotidienne d’une maman : le bain, le repas, le change, la manutention de bébé... Cette liste s’est étoffée grâce au personnel de la crèche dans laquelle je suis intervenu. C’est à partir de ce travail que j’ai construit la trame de mon livre.
Alors, comment préserver son dos lorsque l’on s’occupe des enfants ?
La question est simple mais la réponse est complexe ! Depuis des millénaires, on considère "normal" que les femmes s’occupent des enfants. C’est "naturel" et la notion de poids de l’enfant est occultée au profit de la relation mère/enfant. D’ailleurs, peu de revues de puériculture parlent des conséquences de la manutention de l’enfant, comme ci celui-ci ne pesait rien… Il faut donc considérer l’enfant comme une charge et adapter sa gestuelle en conséquence.
Y a-t-il d’autres zones du corps à préserver ?
Oui, la région cervicale et les épaules sont souvent citées par le personnel du secteur de la petite enfance comme étant des zones de souffrance. Ces douleurs proviennent également de la mauvaise posture lors de la manutention des enfants et du matériel. Il faut donc adopter les mêmes principes de manutention notamment en soulevant les charges près du corps pour éviter de trop solliciter ces régions anatomiques.
Quels sont les risques sur le long terme ?
Les rachialgies peuvent avoir des conséquences dramatiques si l’on ne met pas en place des formations de prévention du risque. En effet, outre le fait que la personne souffre énormément, le simple lumbago impose parfois plusieurs semaines d’arrêt de travail. Si l’on ne modifie pas sa gestuelle, les disques intervertébraux (DIV) lombaires s’abîment progressivement jusqu'à entraîner l’apparition d’une hernie discale avec sciatique. C’est parfois plusieurs mois d’arrêt de travail, voire plus s’il y a besoin d’intervenir chirurgicalement. Au final, c’est malheureusement une incapacité de travail permanente qui s’installe ce qui revient bien sûr à une perte d’emploi pour les assmat et les autres professionnels du secteur petite enfance. Il faut donc adopter de bonnes habitudes gestuelles dès le début de sa carrière professionnelle !
A quel moment faut-il s’inquiéter ?
Le mal de dos n'est pas une fatalité et s'occuper d'enfant n'est pas un sacerdoce ! S'il est tout à fait normal d'être fatigué en fin de journée, il est anormal d’avoir mal au dos ! Les manutentions de l’enfant ou d’autres charges ne doivent pas déclencher de douleurs du dos. Si c’est le cas, il faut modifier la gestuelle et adopter des postures de prévention.
Trop souvent, les femmes qui travaillent dans le secteur de la petite enfance considèrent "normal" d’avoir mal au dos en fin de journée ! Il faut combattre cette idée reçue. Toute douleur du dos qui apparait lors d’un geste ou d’une posture est anormale.
Quelles sont les principales situations "à risque" ?
Ce sont évidemment les postures de soulèvement ou de dépose de l’enfant, mais également toutes les manipulations autour de l’enfant, notamment en structure collective où il faut manipuler les meubles, les tapis de jeux souvent lourds, le linge, les repas… Mais le risque principal est la manipulation de l’enfant, car l’adulte ne le considère pas comme une charge et n’est donc pas "vigilant"
Quels sont les gestes à bannir ?
Tout soulèvement de charge avec les bras tendus ! Plus l’enfant ou la charge est loin du corps, plus la pression est importante sur les DIV. C’est ce que j’appelle : "éviter le déséquilibre antérieur".
Et ceux à adopter ?
Soulever l’enfant ou la charge près du corps (ce que j’appelle "être dans sa bulle avec l’enfant") et toujours se placer au-dessus de la charge à soulever
Comment garder les bons réflexes au quotidien ?
Cela nécessite une bonne formation de départ. Il faut ensuite être à l’écoute de son corps et modifier la position de notre corps afin de supprimer la gêne éventuelle.
Lorsque la douleur est déjà là, quelle est la bonne attitude ?
S’il y a douleur, il faut aller consulter un médecin. Celui-ci vous orientera ensuite vers un kiné pour soulager la gêne. Mais il faut ensuite analyser l’origine de la douleur et modifier sa gestuelle professionnelle, car cela continuera pour aboutir au mieux au lumbago et au pire à la sciatique et à la hernie discale !
Y a-t-il des exercices à effectuer en prévention ?
Oui, il faut garder la forme ! C’est-à-dire s’entretenir afin de pouvoir utiliser ses membres inférieurs et avoir de bons abdominaux. Attention ! Il ne s’agit pas de ressembler à un sportif de haut niveau ! Les gens pensent souvent qu’avoir des abdominaux (qui sont les muscles qui protègent le dos !), c’est avoir le ventre plat… Faux ! On peut avoir de la graisse sur le ventre (ce qui est le cas de 90% de la population) mais avoir des abdominaux toniques !
Il faut donc faire une heure ou deux d’activité sportive par semaine. Il faut simplement choisir l’activité que vous aimez. Une activité simple, c’est tout simplement le step : monter et descendre des marches d’escalier. Essayez de faire ça pendant une heure et vous allez comprendre pourquoi c’est efficace ! Cela muscle le cœur, les fessiers, les cuisses, les abdominaux et la musculature rachidienne. La musculation avec un élastique est aussi simple et très efficace à mettre en œuvre.
Avez-vous d’autres recommandations à livrer aux professionnels de la petite enfance ?
S’occuper d’enfants est un vrai travail et il faut le considérer comme tel. C’est un travail avec un port de charge répétitif même si la charge ne rentre pas dans les critères de la médecine du travail qui considère qu’en dessous de 25kg pour une femme, il n’y a pas de notion de charge lourde !
Il faut adopter les bonnes habitudes gestuelles dès le début de l’activité professionnelle en effectuant une formation. Lorsqu’on exerce dans une structure collective, ne pas hésiter pas à reprendre les collègues lorsqu’on les voit faire les mauvais gestes, car dans une équipe, quand l’une est en maladie pour son dos, c’est le reste de l’équipe qui en pâtit ! Il s’agit d’être solidaire et attentif à l’autre et donc à soi-même. Il faudrait que chaque crèche forme son personnel. Mais attention, le milieu de la formation continue est un domaine où tout le monde peut s’intituler "formateur". Privilégiez les formations enseignées par des professionnels de santé comme les masseurs kinésithérapeutes !